Interview Josie K : Superaliments et Alicaments Tropicaux

Présentation

Si elle a choisi le terme chirurgienne de la nutrition, ce n’est pas pour rien ! Josie K dissèque les aliments pour vous les présenter sous tous leurs aspects. Auteur de nombreux livres sur l’alimentation tropicale, elle revient aujourd’hui avec son nouvel ouvrage.

Interview Josie K : Superaliments et Alicaments Tropicaux

Interview

Bonjour Josie. Vous êtes l’auteur de nombreux livres sur la nutrition tropicale et vous venez de sortir le dernier opus : Superaliments et alicaments tropicaux. Si ces deux termes sont déjà connus du public, ils sont souvent mal compris et ont même une connotation marketing négative. Alors, qu’est-ce qu’un superaliment et un alicament et sont-ils simplement des arguments de vente?

J.K : Il est vrai qu’il y a une méfiance avec ces deux termes. Dans le cas des superaliments, nous partons du principe selon lequel tous les aliments ne peuvent pas être égaux au niveau de leur composition sur le plan nutritionnel. Par exemple, on ne peut pas dire que le pain blanc a la même valeur nutritionnelle que le moringa ou que le baobab. 

Qu’on le veuille ou pas, naturellement, il est prouvé, à partir de leur composition, que tous les aliments ne sont pas égaux.

Cependant, il faut reconnaître qu’il y a parfois des abus et qu’on peut retrouver sur le marché des aliments avec ces appellations, sans que ce soit forcément le cas. Dans le livre, j’ai consacré plusieurs pages sur ce sujet pour éviter les amalgames.

Et qu’en est-il pour les alicaments ? 

Le nom alicaments provient de la contraction du mot aliment et du mot médicament. Cela signifie que, de par leur composition chimique ou par leurs principes actifs, les alicaments ont la capacité de prévenir, voire de guérir certaines pathologies. L’exemple du tamarin est parlant. Le tamarin est utilisé dans l’industrie pharmaceutique pour fabriquer des médicaments pour prévenir la constipation. 

Là encore, il faut reconnaître qu’il y a des aliments avec des principes actifs qui peuvent être utilisés pour lutter contre des maladies. 

Tout au long de votre livre, vous racontez des anecdotes et des souvenirs de votre enfance avec certains de ces aliments. Néanmoins, on a l’impression que leur consommation s’est un peu perdue, au profit d’une alimentation plus “moderne”. Qu’en est-il sur le terrain ?

Les aliments dont je parle dans mon livre ne sont pas réellement oubliés. Mais on ne peut pas ignorer l’impact de la modernisation sur les nouvelles générations. Elles ne sont pas autant familières avec ces aliments que nous ou que nos parents. Il n’est pas exclu de rencontrer des enfants qui vivent en Afrique et qui ne connaissent pas la poudre de baobab ou le Safou.

D’ailleurs, certains parents vont essayer de reconnecter leurs enfants avec ces aliments, mais ont du mal à tenir le discours qu’il faut pour pouvoir engager les enfants dans cette dynamique. Proposer un ouvrage comme le mien permet de proposer une histoire ou un discours qu’ils pourraient partager, pour créer le lien et donner l’envie aux enfants de s’y intéresser. 

Ce besoin de reconnexion est également valable chez les communautés des zones tropicales qui vivent sur un autre continent. Ils vont, à travers l’ouvrage, pouvoir partager des connaissances avec leurs enfants nés sur une terre étrangère. 

Tous les aliments que vous citez peuvent être utilisés dans leur intégralité, ou presque. Les différentes parties de la plante trouvent un usage, aussi bien en médecine que dans les industries, et même dans la décoration, comme la coquille de la noix du Pili. Ces superaliments seraient-ils doués dans tous les domaines ?

Il existe bien plus de superaliments dans les zones tropicales que ceux qui se trouvent dans le livre. Justement, j’ai décidé de retenir ceux dont la majorité des parties de la plante étaient exploitables. La noix de Pili que vous citez est exploitable à pratiquement tous les niveaux. C’est vraiment cet intérêt économique, médicinal et alimentaire que je souhaite présenter. 

Prenons le cas des régions où on essaye de faire du reboisement, cela peut être intéressant d’utiliser ces plantes. D’ici 15/20 ans, il y aura alors une valeur ajoutée médicinale et économique.

Comment expliquer que les aliments tropicaux aient autant de qualités et de nutriments ? Est-ce le climat, le mode de culture ?  

Je pense que c’est une combinaison de facteurs. Le climat favorise leur intérêt nutritionnel, mais je crois aussi que c’est la nature qui a été bien faite, pour permettre à des zones beaucoup plus désertiques et sèches de proposer des plantes comme le baobab. Peut-être que la nature a prévu que ces plantes viendraient combler les besoins nutritionnels de la population dans ces zones. Elle aurait anticipé les aléas climatiques, en mettant à disposition des aliments qui vont aider à avoir la santé et la longévité, sans avoir besoin de fournir d’énormes efforts. 

Le safoutier produit des fleurs mellifères et lutte contre l’érosion. La coquille du Pili sert de substrats. Les superaliments du livre demandent en outre souvent peu de soins et ont un grand rendement. Leur promotion devient alors une façon pour vous d’œuvrer pour l’écologie ?

Oui, mais pas seulement pour l’écologie. Mettre en avant ces superaliments est également un moyen de rétablir et d’améliorer la qualité de la chaîne alimentaire de façon générale. On aura un retentissement positif sur la santé des personnes qui vont consommer plus souvent ces aliments, et en retour, la forte demande va avoir un impact économique. Cette culture va alors devenir beaucoup plus abondante, ce qui aura un impact positif sur l’écologie. C’est une forme de cercle vertueux. 

En parlant d’écologie, vous avez consacré un chapitre très instructif sur la controversée huile de palme. Pourtant, on découvre dans votre livre qu’elle ne mérite pas cette place, dès lors qu’elle est utilisée pure et de façon raisonnée. Elle serait même aussi bonne que l’huile d’olive. Une volonté de réhabiliter cette huile si mal aimée ? 

Effectivement, l’huile de palme dans sa version non raffinée n’a aucun impact négatif sur la santé si elle est consommée de façon raisonnable. Ici, l’idée est de présenter l’huile de palme telle qu’elle est, et surtout, telle qu’elle a toujours été consommée par nos ancêtres. Si vous regardez les pays d’Afrique, il y a 10/20 ans on n’utilisait que de l’huile de palme. Et lorsque vous comparez l’espérance de vie de la même époque, elle est bien plus élevée que maintenant. 

En présentant de manière scientifique l’huile de palme aux consommateurs, on lui laisse le choix de la consommer ou non, au-delà du matraquage médiatique.

En ce qui concerne l’huile d’olive, elle est même presque mieux qu’elle. En effet, dans la composition de l’huile de palme, on retrouve deux groupes alimentaires qu’on ne retrouve pas dans l’huile d’olive, les tocotriénols et les carotènes. Le seul élément qui permet à l’huile d’olive d’observer une forme de supériorité indiscutable sur l’huile de palme, c’est sa teneur en alcools terpéniques.

Diabète, hypertension, cancer… Ces maux que l’alimentation et la vie moderne ont fait exploser peuvent être diminués grâce, notamment, à ce que nous mangeons. Mais dans le cas des superaliments présentés dans le livre, certains font presque figure de remède. Je pense, notamment, au moringa. Dans quelle mesure peut-on les introduire pour compléter un traitement ? 

Tout au long de l’ouvrage, je me suis abstenue de proposer des recettes toutes faites avec des quantités, parce que justement les posologies varient d’une personne à une autre. L’idée, c’est déjà de faire savoir que le moringa, par exemple, peut aider à la prise en charge d’un patient diabétique. Mais c’est toujours au médecin traitant, au pharmacien et aux divers acteurs de la santé de définir les doses adéquates.

Cependant, le moringa, sur une base d’une ou deux cuillères à soupe, peut être mélangé dans le bol de céréales ou dans de l’eau et consommé à jeun. Il va contribuer à réduire la pression artérielle sur le long terme.

Pour faire suite à cette question, ces alicaments peuvent-ils être consommés de manière préventive de façon quotidienne, ou bien faut-il faire attention, même si on ne présente pas de troubles ? 

Ils peuvent être consommés de façon préventive, avant que la maladie apparaisse. Et en parcourant les informations nutritionnelles, vous avez pu voir que ce sont des aliments qui contribuent à avoir une alimentation équilibrée à moindre coût. Prenons un exemple simple. Les femmes qui approchent de la quarantaine ont besoin de calcium et de vitamine D pour prévenir l’ostéoporose. Quand vous regardez la composition du baobab, vous vous rendez compte que deux à trois cuillères à soupe de baobab permettent d’approcher le quota de 600 à 800 mg de calcium requis au quotidien pour les femmes de cet âge. Et là encore, le rapport qualité/prix est beaucoup plus intéressant que si on devait se contenter de prendre du lait de vache ou du lait végétal pour combler ces besoins.

À la lecture des informations nutritionnelles de chaque superaliment, je me suis fait la réflexion qu’ils pouvaient être très utiles pour lutter contre la dénutrition. Est-ce qu’ils sont déjà utilisés en Afrique ou dans d’autres pays pour cette application ?

Oui,  il y a des régions dans lesquelles les superaliments sont proposés pour améliorer la santé et l’état nutritionnel global des enfants qui sont en dénutrition. Mais je reste convaincue qu’on peut faire beaucoup mieux. Il y a un réel besoin de vulgarisation pour que cela devienne un réflexe pour les parents ou pour chaque membre de la famille et de la communauté d’avoir des superaliments en avance à la maison. 

L’autre aspect de la culture de ces superaliments est socio-économique. Elle génère de nombreux emplois, dans de nombreux domaines (culture de la plante, transformation, industrie cosmétique, pharmaceutique)… Seraient-ils un remède également contre la pauvreté et le chômage ?

Je pense que oui. Pour le moment, ce sont des activités de subsistance au niveau des zones où on retrouve ces produits. Je reste convaincue que, s’il était possible de structurer davantage et d’accompagner les populations qui les produisent et les transforment de façon parfois un peu précaire ou un peu artisanale, il y aurait un impact économique avec un retentissement réel. 

Si la culture des superaliments augmente, peut-on craindre une récupération industrielle à grande échelle, comme pour l’huile de palme, ce qui pourrait créer des problèmes écologiques et une exploitation des salariés ?

Il y a toujours un risque quand on prend l’initiative de transformer un aliment ou un superaliment, mais le tout est d’être encadré par des professionnels de l’agroalimentaire. Si on a sur le marché d’énormes variétés de superaliments qui viennent d’ailleurs et pour lesquelles la composition a su rester stable, je reste convaincue que c’est possible pour les aliments tropicaux. Il faut juste que la production soit encadrée par des experts dans le domaine. 

Les superaliments en eux-mêmes n’ont pas de problème, c’est l’usage que l’on en fait et les méthodes de transformation qui finissent par les dénaturer. 

Pour finir sur une note plus légère, les superaliments sont également utilisés pour produire des produits de beauté. En Europe, le karité est par exemple très connu et utilisé. Une petite recette pour une belle peau ? 

(rire) Je ne suis pas spécialiste de la cosmétologie, mais même si j’osais un avis, il me faudrait connaître votre type de peau, vos objectifs et votre routine actuelle avant de faire une proposition. Par contre, puisque le temps se rafraîchit, je peux vous encourager à utiliser le beurre de karité au niveau de la plante des pieds et au niveau des mains tous les soirs. Cela permet de garder la peau souple et d’éviter la sécheresse et les crevasses.

Grâce à son livre « surperaliments et les alicaments tropicaux », Josie K revalorise des aliments pleins de bienfaits. Bourrés de nutriments, ils sont aussi bon pour la santé que pour l’économie et la planète. Une livre à dévorer de toute urgence.